"Douleur dans l'âme": la Bosnie commémore le génocide de Srebrenica, 30 ans après

Des femmes musulmanes bosniennes parcourent le cimetière du Centre mémorial Srebrenica-Potocari, le 9 juillet 2025
Des femmes musulmanes bosniennes parcourent le cimetière du Centre mémorial Srebrenica-Potocari, le 9 juillet 2025 ELVIS BARUKCIC / AFP

Des milliers de personnes sont attendues vendredi à Srebrenica pour commémorer le génocide commis il y a trente ans par les forces serbes de Bosnie, l’un des pires massacres commis sur le sol européen depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Srebrenica est l’épisode le plus sanglant du conflit intercommunautaire bosnien (1992-1995), qui a embrasé cette ancienne république yougoslave après la proclamation de son indépendance, souhaitée par les Bosniaques (musulmans) et les Croates (catholiques), mais refusée par les Serbes (orthodoxes).

Assiégée pendant plus de trois ans, l’enclave de Srebrenica, dans l’est de la Bosnie, proche de la frontière avec la Serbie, pourtant proclamée « zone protégée » des Nations unies, a été attaquée en juillet 1995 par les forces serbes de Bosnie du général Ratko Mladic.

En l’espace de quelques jours, environ 8.000 hommes et adolescents bosniaques y ont été exécutés, leurs corps jetés dans des dizaines de fosses communes. A ce jour, les restes de plus de 80% de victimes ont été retrouvés et enterrés.

Des experts internationaux exhument des cadavres de victimes présumées du massacre de Srebrenica, le 24 juillet 1996 dans le village de Pilica, à 300 km au nord-est de Sarajevo
Des experts internationaux exhument des cadavres de victimes présumées du massacre de Srebrenica, le 24 juillet 1996 dans le village de Pilica, à 300 km au nord-est de Sarajevo Odd ANDERSEN / AFP/Archives

Essayant de dissimuler la gravité des crimes, les autorités serbes bosniennes avaient organisé des opérations de déplacements de cadavres, souvent « déchiquetés » par les machines lourdes et transportés vers plusieurs fausses communes « secondaires », selon les experts.

« Nous recherchons toujours un peu moins de 1.000 victimes », précise la porte-parole de l’Institut bosnien pour les personnes disparues, Emza Fazlic.

Douleur

« Depuis trente ans nous portons la douleur dans nos âmes. Nos enfants ont été tués innocents dans la zone protégée de l’ONU. L’Europe et le monde ont observé muets la tuerie de nos enfants », explique Munira Subasic, présidente de la principale association des mères de Srebrenica, dont le mari Hilmo et le fils Nermin, 17 ans, ont été tués.

Vendredi, des survivants et des familles vont inhumer lors des commémorations au Centre mémorial Srebrenica-Potocari sept victimes, dont deux jeunes hommes qui avaient 19 ans au moment du massacre, et une femme qui était âgée 67 ans.

Leurs familles ont attendu pendant plusieurs années pour les inhumer, espérant que d’autres restes seraient retrouvés.

Une femme à Belgrade regarde le 2 juillet 2005 un reportage à la télévision qui montrerait des paramilitaire serbes exécutant six Bosniaques musulmans de Srebrenica
Une femme à Belgrade regarde le 2 juillet 2005 un reportage à la télévision qui montrerait des paramilitaire serbes exécutant six Bosniaques musulmans de Srebrenica KOCA SULEJMANOVIC / AFP/Archives

« Malheureusement, pour la plupart de ces victimes il s’agit de restes incomplets, dans certains cas il n’y a qu’un ou deux os », explique Mme Fazlic, précisant qu’une centaine de femmes, dont 80 sont toujours recherchées, ont aussi été tuées dans le massacre.

Mevlida Omerovic a décidé de ne plus attendre et a donné son accord pour l’enterrement des restes de son mari, Hasib, tué à 33 ans, probablement à Petkovci, à une soixantaine de kilomètres au nord de Srebrenica.

Il s’agit de l’un des cinq lieux d’exécutions de masse lors de ce massacre, seul épisode du conflit bosnien qualifié de génocide par la justice internationale. Environ mille personnes y ont été transportées, enfermées dans une école, puis exécutées.

Le cercueil contenant la mâchoire d'Hasib Omerovic, une des victimes du massacre de Srebrenica en 1995, au Centre mémoriel de Srebrenica-Potocari, en Bosnie, le 9 juillet 2025
Le cercueil contenant la mâchoire d'Hasib Omerovic, une des victimes du massacre de Srebrenica en 1995, au Centre mémoriel de Srebrenica-Potocari, en Bosnie, le 9 juillet 2025 ELVIS BARUKCIC / AFP

« Son frère a été retrouvé et enterré il y a dix ans. Trente années sont passées et je n’ai plus rien à attendre », explique Mme Omerovic, 55 ans, qui souhaite pouvoir se recueillir avec ses enfants sur la tombe de son mari. Même si dans le cercueil, il n’y aura que la mâchoire de Hasib.

Les anciens chefs politiques et militaires des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, ont été condamnés à perpétuité par la justice internationale pour crimes de guerre et génocide. Mais la gravité de ce crime continue à être relativisée par de nombreux dirigeants politiques serbes, en Bosnie et en Serbie.

« Les Serbes n’ont pas commis de génocide à Srebrenica, et il n’a pas eu lieu », a encore déclaré début juillet le président de l’entité serbe de Bosnie, Milorad Dodik.

L’Assemblée générale de l’ONU a créé en 2024 une Journée internationale de commémoration du génocide de Srebrenica, le 11 juillet, malgré la colère de la Serbie.

Pour les familles et les survivants, cette date ne s’effacera jamais.

« Pour moi, chaque jour est le 11 juillet, chaque nuit, chaque matin, quand je me lève et réalise qu’ils ne sont pas là », soupire Ramiza Gurdic, dont le mari Junuz et les fils Mehrudin et Mustafa ont été tués dans le massacre.