Prison en Guyane : retour sur l’histoire du bagne, sordide système pénitencier français

Centre de la Relégation à Saint-Laurent-du-Maroni, deuxième ville de Guyane où le garde des sceaux Gérald Darmanin a annoncé, samedi 17 mai, le projet de construction d’une nouvelle prison d’ici 2028.
Centre de la Relégation à Saint-Laurent-du-Maroni, deuxième ville de Guyane où le garde des sceaux Gérald Darmanin a annoncé, samedi 17 mai, le projet de construction d’une nouvelle prison d’ici 2028. W.Stevens/stock.adobe
En annonçant, dans une interview au JDD publiée samedi 17 mai, l’implantation d’une troisième prison de haute sécurité à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, Gérald Darmanin a réveillé l’imaginaire du bagne guyanais. Retour sur l’histoire de cet archipel pénitentiaire, surnommé la « guillotine sèche » des condamnés.

À l’entrée de Saint-Laurent-du-Maroni, deuxième ville la plus peuplée de Guyane, Gérald Darmanin projette, d’ici à 2028, l’érection d’une prison de 500 places. En son sein doit être installé le troisième quartier de haute sécurité du système pénitencier français : « Soixante places, un régime carcéral extrêmement strict, et un objectif : mettre hors d’état de nuire les profils les plus dangereux du narcotrafic », a détaillé le ministre.

Ces propos du garde des sceaux, dans une interview au JDD samedi 17 mai, ont aussitôt évoqué l’univers du bagne, ce sordide système pénitencier auquel ont été condamnés, entre 1850 et 1950, près de 70 000 hommes et 1 000 femmes en Guyane.

Vider les prisons

De Louis XIV à Napoléon III, un même combat : vider les prisons. Si le Roi-Soleil met en place des galères, celles-ci sont progressivement supprimées par son successeur Louis XV et remplacées par des bagnes portuaires, où le travail forcé des détenus permet de renforcer la flotte militaire. Les bagnes apparaissent à Brest, Nice, Lorient, le Havre, Cherbourg ou encore Toulon. Ce dernier, visité par Victor Hugo, lui inspire le personnage de Jean Valjean, figure principale des Misérables.

Dans les années 1840, la concentration des forçats dans les métropoles portuaires inquiète, et tandis que l’on craint que le vice contamine les ouvriers ou que les bagnards en fuite récidivent, la modernisation des navires de guerre réduit le besoin de main-d’œuvre non qualifiée. La volonté de Napoléon III de réduire la population carcérale dans l’Hexagone rencontre alors les intérêts de l’Empire et de son expansion coloniale qui, compte tenu de l’abolition de l’esclavage en 1848, cherche une nouvelle main-d’œuvre.

Le bagne au service de l’Empire

En 1852, les bagnards quittent donc Rochefort, Brest et Toulon pour rejoindre Cayenne, en Guyane. « Plus efficace, moins dispendieuse, plus humaine, au profit de la colonisation française » , d’après Napoléon III, la loi sur la transportation de 1854 organise les travaux forcés hors du territoire métropolitain, et empêche le retour des condamnés.

Les épidémies, la déficience de l’administration et le manque de soins font de cette expérience une hécatombe : entre 1852 à 1866, près de 40 % des arrivants meurent. En 1867, le gouvernement impérial change la destination des forçats et les envoie en Nouvelle-Calédonie, proclamée colonie française dix ans plus tôt. C’est sur ces terres australes que seront notamment déplacés les condamnés de la Commune de Paris, en 1871.

La Guyane, « terre de grande punition »

Moins hostile, et plus riche, le bagne néo-calédonien est moins redouté des prisonniers tandis que les colons libres accusent l’administration pénitentiaire de s’accaparer les meilleures terres. À la riche Nouvelle-Calédonie, la IIIe République préfère donc pour ses bagnards la sinistre Guyane, qui redevient en 1887 la « terre de grande punition », selon l’expression de l’historien Michel Pierre.

Cette « politique du débarras », dénoncé en 1878 par le haut fonctionnaire et abolitionniste de la peine de mort Charles Lucas, se fonde sur un système de « doublage ». Ce dernier prévoit que tout condamné à moins de huit ans de travaux forcés doit demeurer, une fois sa peine purgée, un temps équivalent dans la colonie. Les condamnés à plus de huit ans sont quant à eux contraints d’y rester à perpétuité.

L’expérience de la « guillotine sèche » est variable selon l’endroit où est envoyé le prisonnier : dans un camp forestier, reclus dans un cachot de l’île royale, lâché sur l’île des Lépreux, ou encore, comme le plus célèbre innocent de l’histoire française Alfred Dreyfus, isolé sur l’île du Diable.

La lente extinction du bagne

Dénoncé par Albert Londres dans Le Petit Parisien en 1923, le bagne, « usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice » et qui ne produit en réalité pas grand-chose, commence à être remis en cause par certaines personnalités politiques et organismes humanitaires précurseurs, à l’instar de l’Armée du salut.

Si les ministres des colonies sous le Front populaire sont favorables à la suppression du bagne, il faut attendre la crise économique pour venir à bout de la transportation. L’abrogation apparaît en effet comme un moyen d’alléger les dépenses de l’État en juin 1938. « Ce fut finalement un subterfuge politico-économique – et non un argument moral – qui fit tomber le bagne guyanais », conclut l’historienne Danielle Donet-Vincent dans La Fin du bagne (Éd. Ouest-France, 1992).

Si les convois pour la Guyane disparaissent, restent les condamnés en cours de peine. Outre-Atlantique, ces derniers souffrent particulièrement de la Seconde Guerre mondiale et de ses difficultés de ravitaillement, ainsi que de l’administration impitoyable du régime de Vichy. Le taux de mortalité atteint 20 % de l’effectif de 1942. À la Libération, et jusqu’en 1953, les survivants sont progressivement rapatriés. Souvent amnistiés, ils sont réinsérés dans la société grâce à des associations, ou incarcérés dans des prisons centrales pour les peines les plus lourdes.