Le peuple arménien a subi de terribles massacres au dix-neuvième siècle, dans l’Empire Ottoman, comme les massacres hamidiens qui ont fait 200 000 morts, avant le génocide de 1915 qui a fait 1 500 000 morts. Aujourd’hui 120 000 Arméniens ont été brutalement chassés de leur terre par l’Azerbaïdjan et sont donc sous un statut de réfugiés. Cela nous donne deux leçons.
D’une part l’acceptation silencieuse, passive et résignée devant un massacre de masse entraîne l’exécution d’un génocide quelques années plus tard : les génocidaires ont eu un sentiment d’impunité. Ceux qui sont restés impassibles devant les massacres de la fin du XIXe ont une part de responsabilité dans le génocide de 1915. Et, d’autre part, ceux qui sont restés dans le déni du génocide de 1915 rendent possible l’expulsion en 2022 de 120 000 Arméniens hors de leurs terres ancestrales.
Il est clair que ceux qui ont dans le cœur le déni du génocide ont le désir de le perpétuer. Quand un Arménien est tué, blessé ou emprisonné parce qu’Arménien c’est le génocide qui continue.
Allons plus loin. Ceux qui pensent refermé le dossier des Arméniens du Haut-Karabakh, prennent le risque de donner un sentiment d’impunité à ceux qui attaqueraient la République d’Arménie. Nous devons entendre les leçons d’une histoire qui parfois se répète. Comment accepter qu’aujourd’hui encore un Arménien, parce qu’arménien, soit chassé, emprisonné, blessé ou tué ? L’accepterions-nous pour d’autres peuples ayant subi un génocide ? Le sang injustement versé par tout un peuple ne donne-t-il pas le droit, pour les rescapés, de vivre en paix ? Peut-on voir le patrimoine arménien détruit encore aujourd’hui afin de mieux rayer ce peuple de la carte ?
Un peuple chrétien
Risquons-nous à une ultime et redoutable interrogation : si les Arméniens n’étaient pas un peuple massivement chrétien subirait-il en silence de telles agressions ? Car le génocide des Arméniens en 1915 a été aussi celui des assyro-chaldéens et des Grecs pontiques, et donc un génocide contre les chrétiens. La vérité nous oblige à le dire, malgré nos efforts pour garder ouvertes les voies du dialogue.
Ce qui a été fait pour les musulmans du Kosovo ne peut être fait pour les chrétiens du Haut-Karabakh ? Où sont les communautés chrétiennes qui, non pas appellent à la croisade, mais s’engagent dans la solidarité avec le peuple arménien, premier dans l’histoire à s’être converti au christianisme ?
Force est de constater que la diplomatie française est l’une des plus engagée aux côtés de l’Arménie, en particulier notre ambassadeur, Olivier Decottignies. Mais la France ne peut agir seule, si les autres nations de l’Union européenne ne s’engagent pas elles aussi, face à l’abandon de l’Arménie par la Russie et tandis que les États-Unis regardent ailleurs. Et l’inquiétude est réelle de voir de nouvelles agressions contre l’Arménie de la part des génocidaires d’hier qui ne cessent d’appeler l’Arménie « l’Azerbaïdjan occidental » ! Génocide verbal.
Un avenir pour l’Arménie
Pour sa part, l’Œuvre d’Orient n’a cessé au cours de l’histoire, d’éveiller les consciences face aux massacres, en particulier par la voix de mon prédécesseur Monseigneur Felix Charmetant, directeur de 1875 à 1921. Dès 1896, il alertait sur les massacres hamidiens, prélude au génocide. Et il écrivait : « Devant tous ces crimes de lèse-humanité, assez de protestations théâtrales ; assez de pourparlers inefficaces. Il faut agir et agir vite ! » Il sera une voix forte pour la cause arménienne jusqu’à sa mort.
Il est inconcevable qu’après les souffrances endurées par le peuple arménien, il se sente encore menacé sur ses propres terres. Si nous voulons que la jeunesse garde ses racines, elle doit avoir un avenir devant elle. Aujourd’hui l’œuvre d’Orient se veut encore aux côtés des Arméniens en Syrie, au Liban, en Arménie, et auprès des Arméniens persécutés du Haut-Karabakh. En Arménie, un couple nous représente en permanence, et trois volontaires sont engagés sur une longue période dans des communautés. L’œuvre s’efforce de soutenir ceux qui servent la population en particulier dans l’éducation, les soins, l’aide aux réfugiés.
Le peuple arménien mérite notre admiration pour la grandeur de sa civilisation, sa foi, sa culture, de son alphabet à son architecture, et par son sentiment national. Nous sommes aussi admiratifs de la manière par laquelle nos concitoyens arméniens ont su s’adapter en France, où nombre d’élus sont Arméniens, tout en gardant leur personnalité et leurs traditions arméniennes : un modèle à imiter !
La réalité de l’histoire des souffrances arméniennes ne concerne pas les seuls arméniens. Tout massacre, et bien sûr tout génocide, fait aux chrétiens et à tout homme de bonne volonté l’obligation de dénoncer. Il y va de notre propre éthique et de la manière de comprendre notre présence dans ce monde. Nous n’avons pas de responsabilité diplomatique ni militaire. Mais nous avons une responsabilité prophétique, même au risque d’être une voix qui crie dans le désert, du plus simple chrétien aux plus hautes autorités dans l’Église. Il y a des silences qui tuent deux fois.