Analyse

« Elle arrive de partout » : la France submergée par un tsunami blanc

La cocaïne déferle en France (photo d’illustration).
La cocaïne déferle en France (photo d’illustration). Mads Nissen / PANOS-REA
La cocaïne déferle en France et en Europe depuis l’Amérique du Sud. L’explosion du trafic de drogue, extrêmement rentable, entraîne des guerres de territoires entre narcotrafiquants et des faits divers dans tout le pays. « C’est une épidémie », constate le président de la République Emmanuel Macron. De la Colombie à Dubaï, itinéraire d’un gramme de cocaïne.

Un « tsunami blanc ». Difficile aujourd’hui de trouver un responsable policier ou politique qui n’utilise pas cette expression pour décrire l’arrivée massive de cocaïne en France. « C’est un fléau, c’est une épidémie », reconnaissait la semaine dernière Emmanuel Macron, sur TF1. « On peut parler de submersion. Cette drogue arrive désormais de partout, via les ports, les aéroports, les colis postaux… », explique le sénateur socialiste Jérôme Durain, coauteur en 2024 d’un rapport de référence sur le narcotrafic.

Tous les chiffres sont désormais au rouge à propos de cette drogue, au départ plutôt consommée dans des milieux festifs et fortunés. Mais depuis une dizaine d’années, la consommation n’a cessé de se développer. « En 2017, on estimait que 600 000 personnes en France avaient déjà consommé au moins une fois de la cocaïne dans l’année. En 2023, pour la première fois, on a dépassé la barre de 1,1 million d’usagers dans l’année. Aujourd’hui, un adulte sur dix a déjà expérimenté ce produit », détaille Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).

28 000 € le kilo en France

Aujourd’hui, le cannabis reste certes la drogue la plus consommée en France. Mais de plus en plus de trafiquants misent désormais sur la cocaïne en raison de son extrême rentabilité. « Au Maroc, un kilo de cannabis est vendu en moyenne 1 500 €. Une fois en France, ce kilo se revend environ 3 500 €. Cela fait un bénéfice déjà très intéressant pour les trafiquants. Mais cela n’a rien à voir avec la cocaïne. En Colombie, un kilo de cocaïne, conditionné sous forme de pains, est vendu environ 1 000 €. En France, ce même kilo est revendu environ 28 000 € », explique Dimitri Zoulas, chef de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) de la police nationale.

« Depuis quelques années, tout s’est accéléré dans la circulation du produit depuis l’Amérique du Sud. Il y a des trafiquants qui, avant, passaient une commande tous les deux mois. Désormais, c’est une fois toutes les deux semaines », ajoute-t-il.

Mais pourquoi maintenant ? « Cela résulte d’une décision stratégique des grands cartels sud-américains », souligne Dimitri Zoulas. Au départ, c’est vers les États-Unis que les trafiquants colombiens envoyaient leur cocaïne. Mais à partir de 2017, ils ont constaté une saturation du marché américain où se développait la consommation d’opioïdes, en particulier le fentanyl.

« Les organisations criminelles ont donc cherché d’autres débouchés et se sont tournées vers l’Europe qui, très vite, s’est révélée être un marché très important », analyse Jérôme Sentenac, directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

La production explose, des saisies records

Portée par le marché européen, la production a littéralement explosé dans les trois grands pays producteurs de cocaïne, la Colombie, le Pérou et la Bolivie. « Selon un rapport de l’ONU, en 2024, la Colombie a produit 2 700 tonnes de cocaïne. D’après d’autres études, le Pérou a une production évaluée entre 800 et 1 000 tonnes et la Bolivie d’environ 300 tonnes. Dans ces trois pays, c’est un total de 4 000 tonnes qui ont été produites l’an passé. C’est du jamais-vu. Et cela explique pourquoi cette drogue déferle en aussi grande quantité en France et en Europe », indique Jérôme Sentenac.

En France, les forces de l’ordre ne restent certes pas inactives. « En 2023, 23 tonnes de cocaïne ont été saisies. En 2024, 53 tonnes, soit une augmentation inédite de 130 % en un an. Et sur les trois premiers mois de 2025, on a doublé le nombre de saisies par rapport aux trois premiers mois de 2024 », précise Dimitri Zoulas. Malgré tout, « on n’intercepte qu’une petite partie de la cocaïne qui entre en France, souligne Jérôme Durain. Ce marché est tellement rentable que même si on parvenait à saisir 90 % du produit, les trafiquants feraient encore des bénéfices avec les 10 % restants. »