Tribune

Conclave : « Et si le futur pape venait des États-Unis ? »

Blandine Chelini-Pont
Professeure d'histoire contemporaine à l'université d'Aix-Marseille, docteure en droit
L’archevêque de New York, le cardinal Timothy Dolan, prononce l’invocation lors de la cérémonie d’investiture avant que Donald Trump ne prête serment en tant que 47e président des États-Unis à Washington, DC, le 20 janvier 2025.
L’archevêque de New York, le cardinal Timothy Dolan, prononce l’invocation lors de la cérémonie d’investiture avant que Donald Trump ne prête serment en tant que 47e président des États-Unis à Washington, DC, le 20 janvier 2025. SAUL LOEB / AFP
Le conclave pour élire le prochain chef de l’Église catholique a débuté ce mercredi 7 mai 2025. Blandine Chelini-Pont se demande ce qu’il se passerait si le successeur du pape François, qui se cache parmi les 133 cardinaux électeurs, était originaire des États-Unis.

Alors que le président Donald Trump partageait le 4 mai dernier une image dérangeante le représentant assis sur un trône, vêtu de la soutane et de la mitre pontificale, la rumeur court qu’aucun Américain ne serait jamais l’outsider plein de grâces que l’Esprit Saint inspirerait au conclave. Comment élire un pape qui pourrait être associé, à tort ou à raison avec un pays en déclin de puissance, qui a détruit son capital de moralisme international tout en prétendant mieux représenter les intérêts des chrétiens que le pape lui-même ? Alors que son président déclare qu’il aimerait bien être élu pape, ou sinon que le meilleur candidat serait son ami l’archevêque de New York, et qui finalement se montre en photo de pape ? Impossible.

Sans compter que ces cardinaux ne jouissent pas d’une réputation intouchable : SNAP (1), le groupe de défense des victimes d’abus sexuels, a déposé des rapports officiels accusant neuf d’entre eux d’avoir mal géré des cas d’abus, de gravité variable, et a déposé des plaintes auprès des dix éligibles à ce conclave.

Qui plus est ces Américains ne peuvent prétendre incarner l’unité de leur propre Église. Ils semblent au contraire condamnés à être étiquetés d’un côté ou de l’autre de cette « fracture » qui menace de casser en deux l’Église catholique en Occident.

Plus ou moins proches de la coalition trumpiste

Et pourtant, au regard des qualités des uns et des autres, tout ceci est peut-être bien réducteur. Pour commencer les deux qui sont justement connus pour être très anti-bergogliens, Leo Burke et Thimothy Dolan, seraient le plus à même sur le siège, si la décision du concile était de recentrer prioritairement l’Église dans un catholicisme d’ordre, de normes et d’autoréférences défensif. Leur vrai défaut est qu’ils sont trop proches de la coalition trumpiste. Les autres cardinaux considérés comme conservateurs n’ont jamais pris parti contre François : James Michael Harvey, 75 ans, pendant deux décennies chef de la maison pontificale, et Daniel DiNardo, 75 ans, archevêque émérite de Houston-Galveston et qui plus est ancien membre du Conseil (curial) pour la pastorale des migrants et ancien président de la Conférence épiscopale des évêques.

Parmi ceux créés par François, aucun n’est identifié comme hyperprogressiste, favorable par principe à l’inclusion des LGBTQ dans la communauté catholique. En revanche, ils se signalent bien comme les porte-voix de l’intégration des migrants et des minorités ethniques encore maltraitées. Ils sont aussi connus pour avoir mis en œuvre la politique de zéro tolérance de François aux abus sexuels sur mineurs ou personnes sous autorité : ainsi l’archevêque émérite de Washington, Wilton Gregory, également seul cardinal Afro-américain du conclave. Il a été aux premières loges dans la crise qui a suivi la mort de George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier blanc. Il a été le rédacteur officiel de la Charte dite de Dallas sur la protection des enfants et des jeunes (juin 2022) dans l’Église.

Son successeur à Washington – au jour symbolique de la certification des résultats en faveur de Donald Trump – le cardinal Robert McElroy, 71 ans, s’est fait largement connaître pour son engagement pastoral en faveur des populations immigrées. Enfin, Blaise Cupich, sans doute le plus bergoglien de tous et archevêque de Chicago, s’avère doublement bien placé. Il a été membre du Dicastère pour les évêques, un poste stratégique et son diocèse est l’un des plus riches et généreux à l’intérieur de l’Église américaine qui est également la principale donatrice au denier de Saint-Pierre.

Trois profils internationaux

Restent finalement trois profils très « internationaux » de cardinaux qui connaissent bien l’universalité de leur Église. Ils ont une bonne connaissance du monde extérieur, notamment une expérience intercontinentale et romaine, ils remplissent des fonctions essentielles à la Curie et parlent plusieurs langues dont l’italien : Joseph Tobin, 72 ans, archevêque de Newark, membre du Dicastère pour les Instituts de Vie consacrée ; Kevin Farrel, 77 ans, le médiatique camerlingue du Vatican et Francis Prevost, 69 ans, Préfet du très central Dicastère pour les évêques.

Tobin et Prevost sont des religieux. L’un rédemptoriste et longtemps Préfet de son ordre et l’autre augustin, un temps Prieur général et missionnaire au Pérou, dont il a la nationalité. En 2016, Tobin s’est opposé frontalement au gouverneur de l’Indiana, un certain Mike Pence, en accueillant des réfugiés syriens. Ecclésial féministe, il s’est dit prêt à donner le cardinalat à des femmes. Prevost de son côté a beaucoup œuvré pour l’accueil des réfugiés vénézuéliens au Pérou. Il a manifesté une opposition ferme mais très calme face à la théorie du genre, quand il a eu à s’exprimer sur le sujet.

À l’heure du choix décisif, le fait que Tobin ait été aussi nommé par François membre de son « nouveau » Conseil économique n’est pas anodin. Cela le rapproche du profil de Kevin Farrell, le plus papabile des cardinaux américains : Farrell est depuis 2020 président de la Commission pour les affaires confidentielles, une des six structures économiques créée par la nouvelle constitution de réforme curiale, Praedicate Evangelium. En 2022, il est aussi devenu le président du tout nouveau Comité pour les investissements du Vatican, chargé de vérifier leur objectif éthique. Que le prochain pape sache aussi compter, superviser, gérer les comptes et rerépartir les dépenses qui transitent par le Vatican est une urgence souvent mal évaluée.

(1) Survivors Network of those Abused by Priests pouvant être traduit par Le réseau des survivants abusés par des prêtres.