Bien malgré lui, la mort du pape François a immédiatement pris une tournure éminemment politique. Sa disparition au lendemain d’une ultime rencontre avec J. D. Vance, vice-président états-unien radicalisé avec qui il ne partageait quasiment rien, est un clin d’œil cruel de l’histoire. Il suffit de jeter un œil aux réactions de l’extrême droite pour comprendre que François était un ennemi à abattre pour cette partie du spectre politique et catholique, en réalité bien peu portée sur la charité chrétienne.
Et à la veille du début du conclave pour désigner le successeur de François au Vatican, on peut d’ailleurs craindre que s’éteigne avec lui la lumière qu’il a largement contribué à allumer sur certains sujets. La faute aux conservateurs et réactionnaires de tous poils, qui préféreraient que l’Église s’enferme dans des traditions d’un autre temps.
Et si François était aussi détesté par ces derniers, c’est assurément parce que plus que d’autres, il a intégré la dimension politique de sa fonction. Mais pas n’importe comment. Fidèle à la conception que je me fais de l’Église, il a utilisé dès le début de son pontificat son immense pouvoir symbolique pour faire progresser notre société et les mentalités sur un sujet malheureusement toujours aussi brûlant aujourd’hui.
La portée politique de François
Je me souviens ainsi que, après son élection surprise en 2013, il avait réservé son premier déplacement à l’île de Lampedusa en Italie pour sensibiliser à la cause des migrants. Pour la jeune militante que j’étais, horrifiée par le traitement réservé à ces êtres humains à Sangatte puis dans la jungle de Calais, ce fut un souffle d’espoir puissant. Enfin, l’Église étendait son message d’amour et de tolérance auprès des personnes qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée pour échapper à la misère. Et quand le chef d’une confession qui compte 1,35 milliard de fidèles utilise son poids politique pour porter un tel message de solidarité, cela compte.
Cette bataille culturelle, François l’a aussi menée sur le terrain de l’écologie. En octobre 2023, lors de la publication de l’exhortation apostolique Laudate deum, je suis contactée par La Croix pour en rédiger une recension. Cette lecture est une révélation. Et une source de courage pour beaucoup de militants écologistes qui se sentent de plus en plus isolés, au moment où le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin les qualifie d’écoterroristes, et où l’on commence plus généralement à subir toute la violence du backlash anti-écologiste.
Dans ce contexte très dur pour les idées que nous défendons, je suis alors frappée par la clarté des mots de ce pape, qui semble avoir mieux compris l’écologie que l’immense majorité du personnel politique. Je n’ai quasiment pas une virgule à changer à ce texte. Avec beaucoup de lucidité, François rappelle que le techno-solutionnisme ne nous sauvera pas, et établit un lien indissociable entre justice sociale et justice environnementale, en rappelant que les pauvres ne sont pas les responsables du réchauffement climatique. Le pape annonçait même le règne d’Elon Musk grâce aux fake news : « La décadence éthique du pouvoir réel est déguisée par le marketing et les fausses informations, qui sont des mécanismes utiles aux mains de ceux qui disposent de plus de ressources afin d’influencer l’opinion publique. »
Le soft power de l’Église
La portée de ce texte appelle la responsable politique et la militante écologiste que je suis à l’humilité. Lorsque François défend l’écologie, il touche 1,35 milliard de personnes partout dans le monde. Bien sûr, ce texte n’a pas sauvé la planète, mais il a peut-être montré que la bataille culturelle était gagnée. On ne peut pas négliger l’ampleur du soft power de l’Église, que, en bon prescripteur, François a utilisé pour éveiller les consciences sur la plus grande menace existentielle qui pèse sur l’humanité.
Pour autant, je me garderai bien de toute tentation hagiographique. Comme ses prédécesseurs, François n’a pas fait preuve d’une grande ouverture sur les questions de société. La communauté LGBTQIA+ en sait quelque chose, François ayant déclaré que si l’homosexualité n’était pas un crime, elle restait un péché. Las ! Sa lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’Église est aussi restée largement lacunaire, malgré d’incontestables progrès. L’institution porte une lourde responsabilité dans les traumatismes infligés à des familles entières, et elle n’a toujours pas su s’en montrer à la hauteur.
On peut en dire autant de la place faite aux femmes dans l’Église. Certes, elles sont de plus en plus nombreuses à occuper des responsabilités au sein de la Curie, mais leur rôle reste limité. Elles ne peuvent toujours pas être diacres – et ne parlons pas de la prêtrise. Bref, même si la distance qui sépare l’Église de la lumière reste importante, il faut souhaiter pour la planète et pour nous que le successeur de François sera au moins à sa hauteur. La marche est haute.